6.4 - Les barbouzes : témoignage de Jacques GOSSELIN adressé par madame Gosselin Nouméa mai 2008

III - Histoire et récits - Mars 1962 : Barbouzes, tortures, attentats, enlèvements, charniers

Je suis métropolitain, né le 2 octobre 1935. Après 28 mois de service militaire en Algérie, notamment dans le sud oranais, j’ai été démobilisé et j’ai trouvé un emploi de chef de chantier à l’U.A.T.P.Je travaillais au lycée de Maison Carrée sur un chantier. En m’y rendant le 29 janvier 1962, vers 8 heures du matin, avec la camionnette de mon entreprise, je m’arrêtai à un feu rouge juste avant le pont de Maison Carrée. A ma hauteur vint s’arrêter une “Chambord” dans laquelle il y avait trois Européens et un Vietnamien. Ils me regardèrent avec insistance.

 Peu après, ils m’ont doublé et m’ont fait une queue de poisson, en m’obligeant à m’arrêter … Aussitôt, ils sont descendus, armés de pistolets 11/43 [1] et m’ont fait monter dans leur véhicule. J’ai alors compris que j’avais affaire aux fameux barbouzes qui sévissaient à cette époque contre l’OAS, organisation dont je n’ai jamais fait partie.

Je ne comprenais pas pourquoi je me retrouvais dans cette voiture avec les menottes et pourquoi j’ai reçu un violent coup de coude sur le nez qui fit gicler mon sang sur mes vêtements. Sur la route près du Figuier, les barbouzes s’arrêtèrent et m’emmenèrent près d’une falaise qui surplombait la mer. Là, ils m’ont demandé d’avouer que j’étais légionnaire déserteur, en me mettant un revolver sur la tempe.

Je protestais en demandant qu’ils vérifient mes papiers d’identité. Et ils me les déchirèrent sans les contrôler : carte d’identité, permis de conduire et carte de sécurité sociale. Un convoi militaire passa et ils eurent peur. Nous sommes alors remontés dans la voiture et nous sommes arrivés au Rocher Noir. Là, le patron, un petit gras et qui louchait et portait un costume avec une légion d’honneur, partit dans le bâtiment principal de la cité administrative.

Il était environ 13 h 30 quand nous sommes arrivés à leur P.C. Ils m’ont fait descendre dans une cave, ils m’ont fait asseoir sur un genre de lit militaire, ils m’ont mis une cagoule sur la tête et ils ont commencé à me boxer la figure. Je recevais des coups de partout. Ils voulaient que je sois légionnaire. Ils m’ont parlé en allemand mais je ne comprenais rien.

Ils m’ont attaché sur un fauteuil dont le dossier et le siège étaient remplacés par un treillis de ressorts métalliques et ils m’ont jeté un seau d’eau pour me mouiller : j’ai compris que j’étais sur une chaise électrique et qu’ils allaient y mettre le courant. C’est à ce moment-là qu’une violente explosion se produisit.

Je fus soulevé et détaché de la chaise par l’explosion et me trouvai debout. J’entendis des cris, enlevai ma cagoule et je vis un jeune barbouze à mes pieds, le crâne enlevé et la cervelle pendant sur ses yeux. Il avait un revolver sous son bras dans un étui. Deux autres prisonniers qui se trouvaient dans une autre pièce sont venus me détacher. J’ai appris qu’ils s’appelaient TISLENKOFF et VINENT.

Le service de déminage arriva et un CRS eut une conversation avec un jeune vietnamien qu’il semblait déjà connaître. Les pompiers et les gardes mobiles arrivèrent : on nous forçat à déblayer les décombres et à sortir les morceaux de cadavres. Vers le soir, j’ai entendu dire que le grand patron était arrivé de Paris.

J’ai vu plusieurs civils entourés d’officiers de gendarmerie mobile. Le convoi s’est formé et on nous a fait transporter dans les voitures tout ce qui était récupérable. J’ai entendu dire que nous allions au Rocher Noir. Je montai dans une Estafette bleue et le convoi partit. Sept véhicules civils et deux Half-tracks nous escortaient.

Le lendemain mon patron a voulu déposer plainte au commissariat de police de Maison Carrée mais le commissaire lui a répondu : « On se doute de qui cela vient, je ne peux pas enregistrer votre plainte. Ces gens-là sont intouchables et je ne veux pas avoir d’histoire avec eux.

J’ai été détenu pendant hui jours à l’ École de police d’Hussein-Dey, puis j’ai été transféré à l’hôpital Barbier-Hugo pour passer des examens de la tête.J’ai été choqué et je suis resté sourd de l’oreille droite.

J’ai témoigné au procès de TISLENKOFF, fin janvier 1963 et j’ai reconnu sur photo le nommé ALCHEIK : il était parmi les barbouzes qui m’ont arrêté et torturé. J’ai appris que c’était LEMARCHAND, avocat et député de l’Yonne, qui était son ami et qui l’avait envoyé en Algérie avec un groupe de Vietnamiens.

A la suite de l’affaire Ben Barka, j’ai vu des photos de LEMARCHAND, sa tête me dit quelque chose. Je voudrais le voir en personne.

Je veux demander justice pour les actes de barbarie illégaux et injustifiés que j’ai subis
Je n’ai pas peur. On n’est plus à l’époque des villas avec salles de tortures. J’irai jusqu’au bout.

[1] Le calibre 11/43 est un calibre fait pour tuer, (étant donné la grosseur de la balle) et non pour blesser. Cette arme  a été très utilisé par le "grand banditisme".
Alain AVELIN, retraité de la Police Nationale.

Documents transmis par Madame Marie-Thérèse GOSSELIN – Nouméa – Nouvelle Calédonie – mai 2008

Son courrier – extrait : « Mon mari a été arrêté à Alger par les barbouzes sans aucun motif. Ils l’ont amené à la villa Andrea, dont vous avez du entendre parler. Il a été prisonnier avec Monsieur Tislenkoff et Monsieur Vinent. Il a été torturé et ne doit son salut qu’à l’explosion de la villa et à la gendarmerie nationale.

Il est devenu sourd de l’oreille droite, il a eu le tympan complètement détruit. Il est obligé de porter un appareil auditif dans chaque oreille mais cela n’améliore pas beaucoup son audition. Cela est du à l’explosion. Monsieur Tislenkoff est décédé d’une maladie cardiaque due aux suites de son arrestation Mon mari a témoigné à Paris au procès de Monsieur Tislenkoff et son témoignage figure dans le livre écrit par ce dernier « 24 heures chez les barbouzes, j’accuse Lemarchand »

Tous nos plus vifs remerciements à Madame GOSSELIN   S. Gautier

J'accuse Lemarchand

Parution 1966
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LE MONDE – JANVIER 1962 – Spécial dernière

La Caisse Piégée par Pierre DEMARET –police secrète contre OAS.

La machine infernale 

Dans la caisse 92 kilos d’explosifs divers. Chaque planche était reliée à un détonateur. Il y avait encore des grenades dégoupillées et un système à retardement.

« Tout Bab el Oued est atteinte de barbouzite", disait Roger Degueldre, le chef des célèbres commandos Delta de l’OAS. C’est pourquoi le 24 janvier 1962, un jeune pied-noir, employé d’une société de transit d’Alger, sursaute en voyant collée sur une caisse, haute d’un mètre environ, une étiquette ainsi libellée : Monsieur Pierre Lassus 8 rue Fabre El Biar.

« Sur le coup, je n’ai pas su exactement pourquoi ce nom de Lassus attirait mon attention" dit-il …Cependant j’ai transmis le renseignement à l’Organisation Renseignements et Opérations de l’OAS, la branche que dirigeait Jean-Claude Perez et pour laquelle je travaillais ».

A peine eut-il eu l’information que Jean-Claude Pérez prit contact avec Roger Degueldre. « Je crois que nous pouvons en finir une bonne fois pour toutes avec les barbouzes », déclara-t-il en lui désignant le nom de Lassus qui figurait sur le rapport de l’employé de la société de transit.

En effet Pierre Lassus était un faux nom et était en réalité Jim Alcheik, champion de judo et de karaté, ceinture noire 4ème dan, ancien moniteur d’un cercle situé près de la place de la République à Paris et qui était en Algérie chef des commandos d’action des barbouzes.

C’est lui qui avait fondé chez les barbouzes, le fameux groupe du Talion, qui comprenait un fort pourcentage de Vietnamiens venant des commandos d’élite du corps expéditionnaire français en Indochine. Le groupe du Talion faisait tout pour mériter le nom qu’il s’était choisi.

L’adresse qui figurait sur l’étiquette était celle d’une belle maison d’un seul étage dont la blancheur éclatait au milieu des orangers et des bougainvillées : la villa Andrea. Elle avait été louée dans les derniers jours de 1961par un jeune Français aux cheveux noirs et aux manières réservées qui s’était présenté sous le nom de Jacques Dulac.

Il expliqua qu’il représentait une entreprise de peinture et qu’il utiliserait la maison comme bureau de vente. Peu après de nombreux associés de Dulac arrivèrent à Alger et s’installèrent avec lui dans la villa. Bientôt l’OAS apprenait qu’en réalité Jacques Dulac s’appelait Lucien Bitterlin, qu’il était une barbouze et un intellectuel, chargé d’un travail d’action psychologique.

Quant à ses associés c’étaient aussi des barbouzes. Parmi elles, Jim Alcheik et les durs de son groupe de Talion. La villa Andrea était devenue la quartier général des barbouzes d’Alger …………………………………

 

 

 

Au Q.G. SECRET. La paie des agents spéciaux Photo prise à l’intérieur même du Q.G. :
des barbouzes dix jours avant l’attentat. Assis : Peysson, l’économe des barbouzes.

 

Ce qui restait de la villa – Les trois prisonniers sauvés.

 Les barbouzes

Le passage à tabac reprit. Un vietnamien saisit une prise électrique : « la chaise électrique, tu aimes ça ? » demanda-t-il ?

Gosselin suait de panique et se contractait déjà, attendant la douleur. C’est à ce moment précis que l’explosion se produisit. Quelques instants plus tard ainsi que Tislenkoff et Vinent, il se retrouvait entre les mains de la police régulière à Hussein-Dey.

L’explosion qui les avait épargnée et leur avait peut-être sauvé la vie, avait fait dix neuf morts : 17 barbouzes identifiés et deux hommes que personne ne put reconnaître. Parmi les morts, Jim Alcheik, horriblement déchiqueté et Lecerf la poitrine écrasée.

Le serment sur le revolver

Le serment sur le revolver : Dominique Ponchardier qui a écrit dans la série noire plusieurs romans d’espionnage dont le héro est le « gorille » est l’inventeur du mot barbouze. Il a été ambassadeur de France en Bolivie. Il réunit les « barbouzes survivantes » et leur présenta leur nouveau chef : « Bob » Morel.

 

Jacques GOSSELIN

Les trois prisonniers sauvés 


 

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