5.2 - Le mensonge d'Evian - Un vrai marché de dupes ! Une trahison politique - Un crime d'Etat

III - Histoire et récits - 1962 Le mensonge d’Evian - Un vrai marché de dupes ! 

1 - Les soi-disant  " Accords d'Évian" -  Un terme journalistique - 18 mars 1962

 Sont le résultat de négociations entre les représentants de la France et du Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d'Algérie . Ces accords sont signés le 18 mars 1962 à Évian-les-Bains (Haute-Savoie - France ) et se traduisent immédiatement par un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien dès le lendemain. Ils furent approuvés à 90% par la population française métropolitaine lors du referendum du 8 avril 1962.Ces accords mettent fin à huit années d'une guerre qui n'en portait pas encore le nom et pour laquelle la France a déployé environ 400 000 hommes et durant laquelle de 250 000 à 400 000 Algériens sont tués (plus d'un million selon le FLN) ( !). Pour la France, on décompte 28 500 morts du côté des militaires, 30 000 à 90 000 Harkis, 4 000 à 6 000 chez les civils européens et environ 65 000 blessés.

Le terme d'Accords d'Évian est un terme journalistique. Le titre officiel en est : Déclaration générale des deux délégations du 18 mars 1962. On ne peut parler d'accords en droit, puisque seuls peuvent signer et ratifier des traités ceux qui ont une personnalité juridique en droit international ; or, l'Algérie n'était pas un État mais des départements d'Algérie à l'époque de la signature et depuis 1848.

Le texte intégral a été publié dans Le Monde du 20 mars 1962. Cependant, le texte publié du côté algérien (dans le El Moudjahid du 19 mars 1962 date du cessez-le feu) comporte quelques variantes, notamment dans la dénomination des deux parties. Ainsi, le texte algérien porte la mention « Gouvernement provisoire de la République algérienne » (GPRA), alors que le texte français écrit « FLN ». Or, c'est avec le FLN qu'a traité le gouvernement français, non le GPRA, dont il a toujours nié la représentativité.

Une question corollaire est la qualification de guerre. De même que pour le terme d'accords, seul un État peut faire la guerre en droit (ne serait-ce que parce que la déclaration de guerre est un traité et qu'il faut pour cela avoir la personnalité morale). Le concept de guerre civile n'a pas d'existence en droit (on parle plutôt de trouble à l'ordre public, de révolte ou de révolution, selon l'intensité de l'affrontement).

Derrière ces qualifications juridiques, se trouvent en réalité de réels enjeux politiques, ceux de la reconnaissance internationale d'un État et de la reconnaissance des exactions commises par un État sur un autre.

A ce titre, le terme de guerre d'Algérie ne fut reconnu que très tardivement en France. Il s'agit de M. Jacques Chirac, qui, au cours de son premier mandat (juin 1999), a finalement employé ce terme, entraînant ainsi une véritable “flambées de mémoires”.

Cependant, si la France a reconnu la guerre, seuls ont été également reconnus officiellement les actes individuels commis par les militaires. Le caractère organisé de la répression des Algériens (tortures...) par les militaires au nom de l'État français n'a, lui, jamais été reconnu (non plus, d'ailleurs, que le terrorisme organisé du FLN au nom du futur État algérien, tant à l'égard des Européens que des Algériens "collaborateurs" de l'Algérie française)

Délégation du FLN

Délégation française

Grands enjeux de la négociation

  • Le statut de la minorité européenne d'Algérie.
  • Le cas du Sahara
  • Les bases militaires (Mers el Kébir...) et les essais nucléaires français.

Principales dispositions

Le texte connu comme les « accords » d'Évian comprend deux parties :

  • un accord de  cessez-le-feu, dont l'application est fixée au lendemain 19 mars 1962
  • déclarations gouvernementales relatives à l'Algérie, qui portent notamment sur : Dans l'hypothèse où, à la suite du référendum, la solution d'indépendance serait retenue :
    • la période de transition jusqu'au réferendum d'autodétermination. Pour cette période étaient mis en place un Exécutif provisoire et un Haut-commissaire représentant l'État français
    • la libération des prisonniers dans un délai de vingt jours et une mesure d'amnistie générale
    • l'organisation d'un référendum d'autodétermination dans un délai minimum de trois mois et maximum de six mois
  • des garanties prévues pour les personnes conservant le statut civil de droit français
  • la programmation du retrait des forces militaires françaises

III - Histoire et récits - 1962 Le mensonge d’Evian - Un vrai marché de dupes !

2 - Ordre du jour du général Ailleret et le cynisme des tracts mensongers des FELONS - 19 mars 1962

 

01

02

03

04

05


III - Histoire et récits - 1962 Le mensonge d’Evian - Un vrai marché de dupes !

3 - "ÉVIAN" ou le crime d´État du 19 mars 1962"  par Gérard Lehmann - 2012  Paris

Contribution au colloque international J.P.N.  (Jeune Pied Noir) du samedi 17 mars 2012 à Paris

Maurice Allais: Le pouvoir a fait quatre ans de guerre pour imposer à l´adversaire la solution qui était précisément son objectif final (…). (L´Algérie d´Évian)

Alain Duhamel: De Gaulle et l´Algérie, c´est vraiment une trahison politique. C´est, si j´ose dire, une trahison d´État (Interview d´Historia)

Tout le monde sait ce qu´est un crime de droit commun: une atteinte grave aux personnes  ou aux biens, intentionnelle et justiciable de la Cour d´Assises. Par exemple le meurtre, l´incendie, la séquestration, le viol, la torture. Le crime d´État est un acte de gravité équivalente, ses auteurs sont directement ou indirectement dépositaires de l´autorité de l´État et engagent outre leur responsabilité personnelle celle de l´État au nom duquel ils ont commis des actes criminels.

Comme dans le cas d´un crime de droit commun, se posent  les questions de la préméditation, des circonstances aggravantes et des complicités.
Il y aura donc trois points:

1)     les faits et leur qualification. Les circonstances aggravantes
2)     la préméditation

3)     les complicités

Premier point: Les faits. Leur qualification. Circonstances aggravantes

Le Président de la Cinquième République Charles de Gaulle a commis, en organisant  la signature de ce qu´on appelle injustement les Accords d´Évian, un crime d´État. Le référendum du 8 avril 1962 constitue le crime d´État complémentaire de celui du 19 mars 1962 et forme d´une certaine manière un tout.

Les faits

La signature des Accords d´Évian entérine la cession d´une partie du territoire étranger à une organisation étrangère, précisément quinze départements algériens et le rejet de la communauté nationale de millions de ses concitoyens.

L´ordonnance du 21 juillet 1962 établit un régime transitoire de binationalité pendant trois ans pour les Français d´Algérie et des garanties censées protéger tous ceux qui s´étaient battus pour le maintien de l´Algérie dans la souveraineté française. On sait ce qu´il en advint.

La signature des Accords d´Évian doit être comprise comme une capitulation.  Une capitulation sans défaite dit Maurice Allais après Alfred Fabre-Luce. Une capitulation dans la jactance, écrit Raoul Girardet. Vous me direz que ce n´est pas la première fois dans l´histoire des peuples qu´une défaite militaire conduit à une capitulation, ou à un armistice. Mais retenez  bien ceci: nous parlons ici d´une capitulation sans défaite, ce qui est quand même assez unique dans les Annales de l´histoire.

Notons en passant que le texte original français  conformément au JOFR parle de Déclarations  gouvernementales, du FLN et non du GPRA. Le futur  gouvernement algérien me saurait donc être tenu de respecter ces accords. Comment le pourrait-il quand il n´existe pas d´État algérien? Le début du chapitre II de la Déclaration générale contient cette phrase:

Si la solution d´indépendance et de coopération est adoptée (par le référendum d´autodétermination), le contenu des présentes déclarations s´imposera à l´État algérien.

Il s´agit bien de la part du gouvernement français d´un simulacre, et suivant le mot d´Alain Duhamel  d´un simulacre pédagogique c´est-à-dire sauvant ou ayant l´air de sauver les apparences, car on ne peut par avance établir un contrat avec une partenaire dont on ignore tout sinon que ledit partenaire ne sera pas tenu et n´aura pas l´intention de respecter l´une quelconque des clauses du contrat qu´il n´a pas signé et qui donc ne l´engage pas. Il s´agit là d´une évidence.

La qualification des faits

Pour en arriver là,  il a bien fallu que le Président de la République viole la Constitution. Cette Constitution établit clairement dans son article 5, je lis:
Il
(le Président de la République) est garant de l´indépendance nationale, de l´intégrité du territoire, du respect des accords de la Communauté et des traités.

L´article 53 de la Constitution précise que les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords liés à l´organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l´État, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l´état des personnes, ceux qui comportent cessions, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu´en vertu d´une loi.
Le référendum du 8 avril excluait le vote d´une partie de la population française, celle vivant en Algérie. Il est pour cette raison anticonstitutionnel et ne saurait valider les Accords d´Évian. Le référendum du 8 avril a reçu un avis défavorable du Conseil d´État et du Conseil Constitutionnel.

L´article 55 de la Constitution précise que les accords ou traités régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle de la loi, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l´autre partie.

Admettons un court instant la validité du referendum d´avril 1962: le non-respect des Accords qui en principe oblige les deux parties entraîne leur invalidation. Si l´une des parties ne les respecte pas, ils sont de facto nuls et non avenus, et nous revenons à la situation antérieure au 18 mars 1962, date de la signature. Or nous le savons et le gouvernement français de l´époque le savait: à Tripoli le 25 mai 1962, le FLN rejette les Accords d´Évian dénoncés comme plate-forme néo-colonialiste d´inspiration libérale. Mais on n´avait pas besoin de cette citation pour savoir que les Déclarations gouvernementale n´étaient qu´un chiffon de papier. Ben Kheddah précise depuis Alger que le cessez-le-feu n´est pas la paix.

Le non-respect de ces Accords, particulièrement en ce qui concerne les personnes et les biens aurait dû donc contraindre le gouvernement français à intervenir. Or le seul intérêt du gouvernement était le pétrole saharien (nationalisé par l´État algérien en 1970) et les essais atomiques. Peu lui importait les massacres et l´exode qui allaient suivre.

Le cessez-le-feu n´est pas la paix. La France met l´arme au pied et le FLN enflamme les brasiers du crime dans une Algérie finement quadrillée. De ce crime l´État français est complice. C´est ce qu´on appelle en droit commun non-assistance à personne en danger élargie au niveau d´une population.

L´article 68 de la Constitution, qui a depuis été modifié,  rend le Président de la République responsable des actes accomplis dans l´exercice de ses fonctions en cas de haute trahison. Dès lors qu´un Chef  d´État procède en violation de la Constitution ou dans ses manques graves à l´exercice de la démocratie, il est justiciable de la Haute Cour.
D´autres aspects peuvent faire l´objet d´une enquête, notamment l´empiètement du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire.

En collaborant avec une organisation criminelle, le Président de la République est passible du crime de haute trahison. Ce dernier point concerne en particulier toutes les formes de collaboration passive ou active avec le FLN après le 19 mars 1962. Jean-Jacques Jordi, dans son ouvrage  Un silence d´État a clairement mentionné la collaboration active de l´État avec le FLN dès le lendemain du 19 mars 1962. L´État français s´est ainsi rendu coupable de complicité de crimes.

L´article 89 de la Constitution stipule qu´aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu´il est portée atteinte à l´intégrité du territoire. Les départements de l´Algérie faisaient partie du territoire français.[1]

Circonstances aggravantes: Si Salah

Il y a certainement d´autres circonstances aggravantes que l´affaire Si Salah encore appelé  opération Tilsit, mais celle-ci est si grave qu´elle mérite d´être mentionnée.

Je ne pourrai ici n´en donner qu´un bref aperçu, mais elle a été évoquée plusieurs fois dans des périodiques comme par exemple  La Lettre de Veritas et dans des ouvrages comme par exemple celui du général Maurice Challe : Notre révolte.[2]

Ne pouvait-on pas argumenter que même sans défaite, la capitulation était inévitable, en raison d´un contexte international hostile, et qu´il n´y avait eu jusqu´alors aucune possibilité d´arriver à une solution raisonnable?

Non: ce qu´on appelle l´affaire Si Salah en est l´illustration. Il y a avait une possibilité d´apporter une issue au conflit armé  deux avant la signature des Accords. De Gaulle n’en voulut pas.

Au cours du printemps 1960, le FLN est vaincu sur le terrain, l´ALN n´existe pratiquement plus, la victoire militaire et la pacification sont un fait. L´armée française compte plus de 200.000 Français musulmans sous les drapeaux.

C´est à cette époque que se situe l´affaire Si Salah du nom du chef de la willaya 4 qui entre en contact avec les autorités françaises, fait le voyage de Paris avec le commandant Mohammed et le responsable politique Lakhdar, est reçu à l´Élysée le 10 juin 1960 par de Gaulle en personne et propose de déposer les armes entre les mains de l´autorité civile pourvu qu´aucune représailles ne soit exercée contre eux. Jacques Soustelle, dans L´espérance trahie, commente:

Ce qui conférait à cette négociation, conforme, je le rappelle, à ce que j´avais moi-même toujours souhaité, une importance absolument capitale, c´était que, pour la première fois, une wilaya entière envisageait de renoncer à la lutte, et c´était celle du centre, de la région-clé: en outre, le chef de la wilaya 3 (Kabylie) avait été tenu au courant des pourparlers, et aurait sans doute suivi en cas de succès; enfin une telle démarche consacrait la rupture entre les combattants de l´intérieur  et le prétendu GPRA de Tunis.

Quatre jours plus tard, de Gaulle s´adresse à ce même GPRA, évoque l´Algérie algérienne:

Je leur déclare que nous les attendons ici pour trouver une fin honorable aux combats qui se traînent encore.

Le 25 juin, arrive à Melun une délégation du FLN. Les négociations n´aboutissent pas. Mais des indiscrétions ou des révélations ont eu lieu, le GPRA est mis au courant de l´initiative de Si Salah.

De Gaulle avait préféré à la paix des braves la continuation de la guerre pendant deux ans de plus.

Le sénateur M. de Maupéou déclare dans le Compte-rendu analytique officiel du Sénat le 17 octobre 1961:

On pouvait choisir alors entre deux politiques. La première était celle de la pacification par les armes et la paix des braves, offerte en 1958, et elle s´imposait d´autant plus que les émissaires rebelles apportaient la reddition des trois cinquièmes des combattants…Mais l´Élysée, qui se réserve jalousement la politique algérienne, a choisi de négocier avec les exilés. À la politique de l´arrêt des combats, il a préféré la voie humiliante qui nous a menés de Melun à Évian et à Lugrin, tandis que de jeunes Français continuent à mourir en Algérie.
Écoutons enfin ce qu´écrit Nicolas Kayanakis dans Algérie 1960 : La victoire trahie: Le secret plaqué sur l´affaire Si Salah ne peut masquer cette constante: le rejet de la victoire en Algérie et la capitulation – de fait – sans conditions devant Tunis qui conduirait la France à une situation, sans doute unique dans l´histoire d´un pays vainqueur livrant à un ennemi en déroute la province et les populations objet du conflit ainsi que cent mille soldats.

Deuxième point: la préméditation:

Je passerai rapidement sur la question de la préméditation mais elle est patente et bien documentée aussi bien en paroles qu´en actes. Le référendum de septembre 1958 avait un triple but: la création d´une nouvelle constitution pour remédier à la faillite du régime précédent, un plébiscite en faveur de de Gaulle et la confirmation de l´Algérie comme terre de France. Quelles que soient les ambiguïtés dont certains juristes peuvent se prévaloir, il est clair que le référendum de 1958 confirmait la volonté de garder l´Algérie à la France et je pourrais aisément citer, avant 1958, nombre de déclarations de responsables politiques de toutes tendances qui vont dans ce sens [3]. Les déclarations du Chef de l´État vont dans le même sens et je ne parle pas seulement du fameux je vous ai compris. Le message, comme l´ont prétendu certains historiens qui se targuent d´objectivité, et non des moindres, n´était pas ambigu, il était clair. Que de Gaulle ait dit le contraire de ce qu´il pensait ne change rien à l´affaire. Cela fait de lui comme de son Premier ministre Michel Debré et de nombre d´autres responsables un menteur et un renégat.
L´Algérie française reste l´axe de la campagne orchestrée par le ministre de l´information. Jacques Soustelle le rappelle dans L´espérance trahie:

Du 8 juillet au 28 septembre, je ne cessai de reprendre le thème de l´Algérie française par tous les moyens à ma disposition et le général de Gaulle non seulement ne s´y opposa pas, mais ne formula jamais une observation ou une restriction […] ”Algérie française” n´était pas le slogan de tel ou tel groupement, mais la devise officielle, incessamment répétée à tous les échelons.

C´est la raison pour laquelle je juge que le but que s´était donné de  Gaulle, l´abandon de la souveraineté française en Algérie nécessitait la préparation de cet abandon selon une évolution bien connue mais dont je rappellerai toute de même les étapes, de juin 1958 avec son je vous ai compris aux Accords d´Évian en passant par la paix des braves d´octobre 58, l´autodétermination à trois alternatives (la sécession étant exclue) de septembre 1959, la solution la plus française de janvier 1960, l´Algérie algérienne de mars 1960, l´Algérie aura son gouvernement de juillet 1960, un État en novembre 1960, un État indépendant en avril 1961 etc. sans compter la trêve unilatérale dans le sillage de la première négociation d´Évian. (Je renvoie sur ce sujet à l´excellente analyse du Dr. Pierre Cattin dans La lettre de Veritas no. 153 de mai 2011, pp. 4-5: La trêve unilatérale).

Quant au référendum de janvier 1961, on connaît la duperie. Comme le rappelle Jacques Soustelle dans l´ouvrage précédemment cité, les Français devaient répondre par oui ou pas non sur un ensemble de deux questions qui s´annulaient l´une l´autre, relatives à un problème immédiat et brûlant à propos duquel on entretenait la confusion la plus noire.

La préméditation doit aussi être considérée comme la date ultime et le terme d´une série de négociations avec le FLN: rencontres secrètes de Melun en juin 1960, première conférence d´Évian en mai 1961, conférence de Lugrin en juillet 1961, et les dernières négociations des Rousses en février 1962.

Troisième point: les complicités

Les complicités sont nombreuses, certains noms sont connus, ceux de beaucoup d´exécutants demeurent dans l´ombre.

Sont complices du crime d´État tous ceux qui, directement ou indirectement, ont contribué,  avant le 19 mars 1962 et après cette date, à l´entreprise d´abandon d´une terre française. Cela ne vaut pas seulement pour les Buron, de Broglie, Fouché, Foccard, Foyer, Frey, Buron, Joxe, Tricot, Michelet etc., mais aussi pour tous ceux qui serviront le pouvoir, qui feront ou qui laisseront faire. En Métropole et en Algérie. Tous ceux responsables du maintien de l´ordre et de la protection des biens et des personnes. Tout cela en Algérie aussi bien qu´en métropole et à tous les niveaux.[4]

Nous possédons sur le sujet une vaste anthologie. La liste est longue du palmarès de la trahison et de la collaboration. L´un des plus éminents est Louis Joxe qui aura soin de régler – ou de tenter de régler - dans tous ses détails l´exécution du génocide commis contre nos frères harkis. Je me contenterai  ici de citer le texte d´un message bien connu :
Ultra Secret et Strictement Confidentiel à tous les chefs de SAS et de commandants d´unités

Vous voudrez bien faire rechercher, tant dans l´armée que dans l´administration, les promoteurs et les complices de ces entreprises de rapatriement, et faire prendre les sanctions appropriées.
Les supplétifs débarqués en métropole, en dehors du plan général, seront renvoyés en Algérie, où ils devront rejoindre, avant qu´il ne soit statué sur leur destination définitive, le personnel déjà regroupé suivant les directives des 2 et 11 avril.

* Je n´ignore pas que ce renvoi peut être interprété par tous les propagandistes de la sédition, comme un refus d´assurer l´avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra donc d´éviter de donner la moindre publicité à cette mesure.

N´oublions pas, dans le même esprit de trahison,  les propos de de Gaulle le 3 avril 1962 au Comité des Affaires algériennes: Il faut se débarrasser de ce magma d´auxiliaires qui n´ont jamais servi à rien.

Toutes paroles dignes de figurer dans le livre des records de l´abjection.

Mais nous abordons là un autre domaine, qui est celui du crime contre l´humanité et de complicité de crime contre l´humanité.

En conclusion

À quelle hécatombe ne condamnerions nous pas ce pays si nous étions assez lâches ou stupides pour l´abandonner: cette déclaration est bien connue, elle confesse une duplicité criminelle sur le plan politique, la  stupidité sur le plan psychologique et sa lâcheté sur le plan moral. Mais rendons au chef d´un État voyou qui  conjuguait la France à la première personne,  la responsabilité politique et pénale personnelle qui fut la sienne, exclusivement, mais sans préjudice des complicités sans lesquelles il n´aurait pas pu réaliser l´ambition de se débarrasser, comme il le disait, du boulet algérien.

Je citerai pour terminer une réflexion de la veuve d´Albert Camus, Francine Camus, faite à René Char, et rapportée dans les Carnets de Jean Grenier du 8 décembre 1960:

Francine, très montée contre de Gaulle: N´y aura-t-il personne pour le tuer ?

Compte tenu de l´ampleur du crime et dans l´impossibilité de traduire de Gaulle et ses complices devant une Haute Cour de justice et autres juridictions compétentes, la seule vraie question n´était-elle pas celle que posait alors Francine Camus? Et  n´est-ce pas l´honneur du colonel Jean Bastien-Thiry et de ses amis d´avoir tenté d´y répondre?[5]

Le prix Nobel d´économie Maurice Allais, dans L´Algérie d´Évian heureusement réédité par les Éditions Jeune Pied Noir, dénonçait au lendemain de la publication des Déclarations gouvernementales, l´imposture et ses conséquences prévisibles. Il aborde inévitablement la question de l´oppression et de la résistance à l´oppression.

L´oppression d´abord. Maurice Allais écrit :
Contraints par la force armée à subir une telle situation, qui résulte d´actes illégaux et anticonstitutionnels, contraires aux droits de l´Homme et aux libertés fondamentales, les Français d´Algérie peuvent se dire « opprimés » au sens de la Déclaration des droits de l´homme et du citoyen de 1789, partie intégrante de la Constitution de la Ve République.[6]
La résistance à l´oppression ensuite :
Pour moi, un seul principe doit être considéré comme l´emportant sur tout autre dans l´organisation des sociétés humaines, c´est celui du respect de la personne humaine, c´est celui du respect des droits fondamentaux et inaliénables qui lui sont attachés.

Qu´il s´agisse d´un individu, d´un groupe ou d´une nation, qui viole ce principe se condamne, qu´il le viole lui-même ou qu´il reste simplement passif devant sa violation, qu´il soit responsable ou non de son application, qu´il s´appuie ou non sur la loi, qu´il se réclame ou non du « droit à la résistance à l´oppression ». Qui lutte pour ce principe sanctifie son combat, que ce combat soit mené aux côtés ou contre le gouvernement.[7]

Paul Reynaud devait déclarer à l´Assemblée Nationale, mais un peu tard (le 26 avril 1962) : Là où la Constitution n´est pas respectée, il n´y a plus de République.

Le droit de résistance à l´oppression se fonde sur l´article 2 de la Déclaration des droits de l´Homme et du Citoyen : la résistance à l´oppression est un droit imprescriptible, un droit formellement admis dans le préambule de la Déclaration des Droits de l´homme de l´ONU.

La question de la légitimité l´emporte donc sur celui de la légalité.

On pourrait faire des discours de Michel Debré du Courrier de la colère ou d´autres de ses propos une véritable anthologie de la justification du droit à l´insurrection. Considérant que l´abondance et la virulence de ses discours est soigneusement tue aujourd´hui, il convient d´en donner quelques exemples comme autant d´incitations à la résistance au nom du combat pour l´Algérie Française, combat légal et légitime, tout y est :

Que les Algériens sachent surtout que l´abandon de la souveraineté française en Algérie est un acte illégitime, c´est-à-dire qu´il met ceux qui s´en rendent complices hors la loi ; et ceux qui s´y opposent, quel que soit le moyen employé, en état de légitime défense.[8]

Et encore :

Tant que l´Algérie est terre française, le combat pour l´Algérie française est un combat légal, l´insurrection pour l´Algérie française est une insurrection légitime. Mais si l´on pouvait réussir, par quelque procédé, à retourner la légalité, à renverser la légitimité, faire en sorte que le combat légal et l´insurrection légitime soient pour l´Algérie non  française, alors les ennemis de la France, les traîtres à la France, auraient la partie gagnée.[9]

Stensmarkgaard 19 mars 2012

 NOTES

[1]- Guy Pervillé dans Connaître les Accords d´Évian : les textes, les interprétations et les conséquences (communication présentée le 27 septembre 2003 au colloque organisé par le Cercle algérianiste de Bordeaux) évoque le débat des années 90 sur le statut constitutionnel de l´Algérie et la possibilité de modification de ce statut. Il cite à l´appui de cette thèse les analyses de Georges Bensadou et Jean-François Payen. Guy Pervillé ne se prononce pas sur l´anti constitutionnalité du référendum d´avril 1962, n´étant pas juriste, dit-il. Il fait cependant constamment référence dans son article au droit constitutionnel. Historien mais pas téméraire…Cette prudence ne suffira pas. Guy Pervillé est contacté par le Ministère de la culture et de la communication (le directeur des Archives de France) dans le cadre de la publication de Commémorations nationales. Il rédige sur sa demande un document: 1962: fin de la guerre d´Algérie que le directeur des Archives ampute des trois-quarts.

Si l´on devait faire quelques remarques critiques à propos du texte, on pourrait relever comme une erreur patente d´avoir nommé le GPRA comme négociateur de la partie adverse alors qu´il s´agit du FLN (comme il l´écrit ailleurs). Il fait croire que les négociations ont eu lieu entre deux États.

Il écrit encore ”La fin des hostilités entre la France et le FLN fut la conséquence des Accords d´Évian (…) La fin des hostilités pour qui? Pour quand?

D´autre part, Guy Pervillé présente l´OAS comme responsable des massacres du 26 avril 1962 à Alger alors que le gouvernement français en est l´instigateur. Je lui rappellerai que Fouché a déclaré en 1968 à de Gaulle qui lui reprochait de ne pas avoir fait tirer sur la foule en mai 68 qu´il l´aurait fait si cela avait été nécessaire et qu’il l´avait bien osé en avril 1962 rue d´Isly : Je ne regrette pas, parce qu´il fallait montrer que l´armée n´était pas complice de la population algéroise (voir sur ce point L´après de Gaulle de Jean Mauriac). Non seulement le crime est signé, mais il se pavane!

Guy Pervillé ne dit mot du viol indiscutable de la Constitution avec le référendum du 8 avril 1962. Etc. Il traite les Accords d´Évian d´utopie: cet euphémisme ne pouvait passer dans un texte gouvernemental! N´allons pas chercher ailleurs – comme il le fait désespérément - la raison de la censure dont il fait l´objet: allons, un tel euphémisme, pourtant bénin, est-il supportable pour le directeur des Archives Nationales? Non bien sûr dans l´esprit d´instrumentalisation politique de l´histoire qu´illustre brillamment ledit directeur des Archives.
Les réserve que j´ai pu formuler à l´ égard deGuy Pervillé ne doivent pas faire oublier qu´il est l´un des rares historiens qui se sont efforcés de rester en dehors du courant de la bienpensance historique et idéologiquement orientée dans ce domaine et qu´on lui doit de pertinentes analyses de la tragédie algérienne.

[2]- Général Maurice Challe:Notre révolte. Annexe III. Paris

Docteur Pierre Cattin: Quand de Gaulle refusait la paix en Algérie! La lettre de Veritas septembre 2010 no. 145 p. 6-7 et no. 146 pour la suite.

[3]- Michel Debré déclare à l´Assemblée Nationale en 1959: Aucune sécession de la République n´est donc constitutionnellement possible pour les départements et territoires français faisant partie de la République française.

Venant de l´un des rédacteurs de la Constitution de la Ve République, la déclaration est piquante quand on sait le revirement total d´un homme dont Jacques Soustelle dira: je doute qu´on puisse trouver dans notre histoire un exemple de reniement comparable à celui-là. “La voix de son maître”, disait-on à l´époque.

Pierre Mendès-France : On ne transige pas lorsqu´il s´agit de défendre la paix intérieure de la nation, l´unité, l´intégrité de la République française. Les départements d´Algérie constituent une partie de la République française.

François Mitterrand: Je n´admets pas de négociations avec les ennemis de la patrie, la seule négociation c´est la guerre.
L´Algérie, c´est la France.

[4]- Ben Bella, à propos de la Fédération Française du FLN: Cette Fédération séquestre dans les caves; elle soumet à la torture les Algériens qui se refusent à payer leur cotisation; elle continue à employer en temps de paix des méthodes de guerre. (Cité par Raymond Muelle dans La guerre d´Algérie en France).Voilà la preuve ce que Ben Bella entend par méthodes de guerre : le terrorisme.

Il n´y a pas eu qu´une guerre en Algérie, il y en eut plusieurs et la plus sanglante fut menée par le FLN contre les citoyens de confession musulmane habitant aussi bien la Métropole que l´Algérie. Après et avant le 19 mars 1962. Surtout après.

[5]- Dans une perspective plus large, Georges-Marc Benamou, dans son ouvrage Un mensonge français, évoque les conséquences à court, moyen et long terme des Accords: la pire des négociations menant à la pire des indépendances et à la pire des Algérie; le nettoyage ethnique; le massacre des harkis; l´oppression des Kabyles; le triomphe de l´extrémisme totalitaire; et, pour reprendre l´expression de Germaine Tillon, jusqu´à cette clochardisation d´une nation toute entière (Un mensonge français)

[6]- Maurice Allais L´Algérie d´Évian p. 178/179, Éditions Jeunes Pied Noir, Paris 1999. La première édition date de juillet 1962

[7]- Préambule :

Considérant qu´il est essentiels que les droits de l´homme soient protégés par un régime de droit pour que l´homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l´oppression....

[8]- Écho d´Alger, 1957 cité dans L´Algérie d´Évian p. 164

[9]- Courrier de la colère, 20 décembre 1957.


III - Histoire et récits - 1962 Le mensonge d’Evian - Un vrai marché de dupes !

4 - « Les accords d’Évian ? Un vrai marché de dupes ! Interview de Jean-Baptiste FERRACCI  par J.P. CAPPURI -  Corse Matin -  2012

"Notre nouvel invité dans le cadre de cette série, vient de publier un second ouvrage sur le cis a une grande connaissance du sujet. Et pour cause : il a vécu cette guerre d’Algérie « de l’intérieur » pendant plus de trois ans, en sa qualité de reporteur photographe. Civile d’une part. Et comme envoyé spécial du journal l’Aurore, militaire d’autre part (appelés du contingent) et pour le compte de l’hebdomadaire des forces armées françaises Bled. Après avoir publié en 2007 images vécues de l’Algérie en guerre, notre compatriote vient de livrer un second opus intitulé "L’adieu" (1962 le tragique exode des Français d’Algérie) disponible depuis quelques jours en librairies**.

L’occasion, dans le cadre de cette série de témoignages consacrée à ce conflit, de recueillir son point de vue.

Q/ Quand vous êtes arrivés en Algérie (1958) quel sentiment vous a inspiré la lutte de décolonisation dans laquelle s’était engagée une partie de la population musulmane ?

R/ Si tous ceux qui vivaient sur cette terre n’avaient pas le même niveau de liberté et d’égalité (politique, économique et sociale) la population me paraissait attentiste, prudente et, pour une large part, espérait une évolution institutionnelle sans rupture avec la France.

Q/ Mais déjà, la violence était bien présente…

R/ Elle était le fait du FLN, aux méthodes terroristes ignobles. On ne peut se prévaloir d’un combat de libération en s’attaquant des hommes, des femmes, des enfants de toutes les communautés, par la bombe, le fusil, ou le couteau des égorgeurs. Il fallait donc s’opposer à de tels comportements sanguinaires.

Q/ votre statut de reporters (militaires ou civils) vous a conduit à être dépêchés sur les événements les plus chauds. Quels sont ceux qui nous ont le plus marqué ?

R/ C'est en ville, à Alger, que j’ai vécu des épisodes les plus violents. Notamment la fusillade meurtrière du 24 janvier 1960, où j’ai été pris, pendant une vingtaine de minutes, sous le feu de fusils mitrailleurs balayant le Square Laferrière. Il y a eu aussi plusieurs attentats à la voiture piégée, comme celui qui s’est produit sous mes yeux, le 24 décembre 1959, rue d’Isly. Mais c’est dans cette même artère, le 26 mars 1962, que j’ai vécu le pire.

Q/ que pouvez-vous en dire ?

R/ Quand, à l’issue de la fusillade, j’ai parcouru les trottoirs jonchés de cadavres, j’ai éprouvé un sentiment d’écœurement et de colère. Je pense qu’il autorité est de même si j’avais été amené à couvrir les tragiques événements du 5 juillet 1962 à Oran, où un général français a refusé d’intervenir pour aider ses concitoyens victimes d’un véritable lynchage de la part des nouveaux maîtres de l’Algérie.

Q/ A la fin de votre service militaire (avril 1961), vous êtes rentré quelques mois en métropole. Quand vous êtes retourné en Algérie, comment la situation avait-elle évolué ?

R/ malgré la signature de ce marché de dupes ont été les accords d’Évian, le climat s’était gravement détérioré. La violence était partout. La violence était partout. La désespérance avait gagné les Européens d’Algérie et l’opposition des deux communautés était devenue insupportable. Entre le 17 mars 1962, date de cette signature et la fin de cette même année, il y a eu près de 100 000 victimes. Parmi elles, plusieurs centaines de soldats français, plus de 4000 Pieds Noirs et environ 80 000 harkis !

Q/ En tant que militaire, avez-vous ressenti, de la part d’une frange de la population de la métropole une forme de rejet ?

R/ Je n’ai jamais eu honte d’avoir participé à ce conflit car j’ai toujours estimé avoir fait mon devoir en tant que français d’une part, et en tant que Corse d’autre part. N’oublions pas que près de 10 % des Pieds Noirs étaient d’origine Corse. Gardons aussi en mémoire que notre île fût le seul département à voter majoritairement non au référendum de de détermination, et que c’est sans doute en Corse que les Pieds Noirs déracinés (d’origine Corse ou non) ont été le mieux accueillis.

Q/ Comment expliquez-vous que l’armée française ait été si sévèrement critiquée ?

R/ Une certaine intelligentsia composée de pseudo bien-pensants s’est emparée du sujet en présentant tous les soldats ayant servi en Algérie comme des tortionnaires. Des accusations qui émanaient souvent de complices conscients ou inconscients du terrorisme. C’est oublier que les soldats français faisaient également l’école dans les douars les plus reculés, soignaient, administraient, aidaient les populations qui avaient beaucoup à craindre des terroristes, assassins de civils désarmés et innocents.

« La violence était partout »

Q/ en tant que journaliste, que vous inspirent les critiques visant la presse française, accusé de ne pas avoir, à l’époque, assez bien informer l’opinion publique de la métropole ?

R/ Pour les médias, il était difficile, voire impossible d’avoir une vision correcte des objectifs politiques du gouvernement de l’époque. La population métropolitaine ne comprenait strictement rien au conflit, qu’elle ne connaissait d’ailleurs qu’à travers les récits de ses enfants partis combattre là-bas, pour une cause dont on ne leur avait jamais bien expliqué la finalité. Quant à la médiatisation des événements qui se sont déroulés après le 19 mars 1962, il est indéniable que les médias français, pour la victoire, pas su informait objectivement la population métropolitaine. Plusieurs titres de la presse écrite nationale de l’époque avaient d’ailleurs un caractère éminemment partisan.

Q/ Estimez-vous, comme certains, que l’État s’est rendu coupable de beaucoup de mensonges et de non-dits pour justifier ses positions ?

R/ C’est une évidence. Interrogé sur l’acte de trahison le plus rude retentissant de la Ve République, Alain Duhamel a répondu sans hésiter : « celui du général De Gaulle vis-à-vis des Français d’Algérie ». Le manque de clairvoyance ainsi que l’absence d’humanité et de compassion face aux drames vécus sont proprement ahurissants.

En 1958, il s’était pourtant voulu rassurant…

Un simulacre pédagogique ! Il est clair que, dès son arrivée au pouvoir, son intention était d’agir pour l’indépendance. Mais il était beaucoup trop intelligent pour dévoiler d’emblée ses objectifs. Les conséquences de cette trahison ont été inhumaines, tant pour le million de pieds noirs que pour beaucoup d’algériens.

Q/ Comment qualifiez-vous l’attitude de la France vis-à-vis des harkis ?

R/ Scandaleuse. Ils ont été lâchement et honteusement abandonnés comme l’ont également été les Moghaznis, groupes mobiles de police rurale et d’autodéfense qui avaient choisi de s’engager aux côtés de la France. Heureusement, quelques officiers et quelques unités ont outrepassé les ordres pour les protéger et les conduire en métropole où, souvent, ils ont survécu dans des conditions indignes. Cela a été passé sous silence par les bonnes consciences françaises qui n’ont pourtant pas manqué de s’incliner devant les quelques victimes des forces de l’ordre appelées à réprimer, à Paris, une manifestation FLN qui n’avait rien de Pacifique.

Q/ Le phénomène de l’exode et le thème de votre second livre sur l’Algérie. Quelle réflexion vous inspire-t-il ?

R/ En signant les accords d’Évian, la France n’a obtenu aucune garantie réelle et significative, ni pour les Français d’Algérie ni pour les harkis. De Gaulle avait estimé qu’environ 400 000  personnes quitteraient l’Algérie en quatre ans. En fait, ils furent près d’un million en quatre mois, harkis non compris ! Si la France l’avait voulu, l’exode aurait pu être organisé, canalisé. Au lieu de quoi, il s’est agi de l’une des plus grandes migrations de notre histoire dans des conditions d’improvisation inimaginable.

« Les harkis ont été abandonnés »

Q/ Quel sentiment vous inspire cet ultime épisode de la guerre d’Algérie ?

R/ De la tristesse devant l’abandon d’une terre qui n’était pourtant pas la mienne mais que des hommes et des femmes avaient façonnée, développée, modernisée, aménagée, pour en faire une perle du pourtour méditerranéen. De la honte devant le désarroi de ces pauvres gens, forcés de tout abandonner du jour au lendemain et que l’on accueille en métropole dans l’indifférence.

Q/ Qu’est ce qui aurait pu éviter cette guerre d’Algérie ?

R/ La France n’a pas su, selon moi, saisir les nombreuses occasions qui se sont offertes à elle, de réunir les conditions d’une paix durable. Par ailleurs, il faut aussi admettre que la découverte en Algérie de pétrole, gaz naturel et autre richesses, a aiguisé les appétits de certaines grandes puissances qui, pour tirer les marrons du feu, ont largement soutenu la rébellion.

Q/ Et qu’est-ce qui, concrètement, aurait pu permettre à ce conflit de connaître une issue globalement favorable à tous ?

R/ Il aurait fallu que De Gaulle ne fasse pas du FLN son unique interlocuteur, alors qu’il existait des indépendantistes plus ouverts au maintien d’un lien avec la France. Cela dit, la poussée de l’intégrisme islamique avait déjà commencé à gangrener l’Algérie.

Q/ Etes-vous surpris par le battage, 134 médiatique fait autour du 50e anniversaire des accords d’Évian, alors que la guerre d’Algérie a été un sujet tabou pendant un demi-siècle ?

R/ pour la nation entière, elle a été une sorte de maladie honteuse dont il fallait éviter de parler. Sinon pour accuser l’armée, les Français Algérie et les Harkis. Sur ce point, les chaînes de télévision (publiques en particulier) continue à avoir un comportement scandaleux en programmant certains films et en organisant des débats qui, à travers le choix des invités, relève plus de la torche que de l’impôt. Comme il s’agissait encore et toujours de démontrer que les méchants étaient du côté de la France et les bons, dans le camp du FLN. C’est insupportable. Heureusement la parole c’est un peu libéré dans certains médias (écrit en particulier) pour que certaines vérités soient enfin rétablies

Jean-Paul Cappuri - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

15

06

07


III - Histoire et récits - 1962 Le mensonge d’Evian - Un vrai marché de dupes !

5 - Bibliographie de Jean-Baptiste FERRACCI

Né en 1938 à Paris, Jean-Baptiste Ferracci entame sa vie professionnelle comme reporter-photographe au journal l'Aurore, ce qui le conduit à être présent sur tous les grands événements qui, en 1958, bouleversent la vie politique française. Appelé sous les drapeaux en janvier 1959, au 1er BPC à Calvi, il rejoint l'Algérie en juin et participe à différentes opérations, notamment dans le Hodna et le Constantinois. En septembre 1959, il est affecté comme reporter militaire à l'hebdomadaire des forces armées : Bled. À ce titre, il parcourt l'Algérie, du nord au sud et d'est en ouest, d'unité en unité et d'opération en opération, mais couvre aussi tous les événements agitant Alger. Il est notamment entendu comme témoin lors de "l'affaire des barricades". Libéré de son service militaire pendant le putsch des généraux, fin avril 1961, il réintègre la presse parisienne. Il retourne à Alger en mars 1962 pour couvrir le bouclage de Bab-el-oued et la fusillade de la rue d'Isly, et, en mai, l'exode des Français d'Algérie. Son premier livre, Images vécues de l'Algérie en guerre, a été couronné en 2008 par le prix du Cercle algérianiste.

Cet ouvrage de témoignage est son premier livre

En Corse, Jean-Baptiste FERRACCI a notamment été, en 1975, le cofondateur (avec Aimé Pietri) du magazine Kyrn. Élu conseillé municipal d’Ajaccio en 1983, il a ensuite été directeur de cabinet de José Rossi.

L’'ADIEU
1962 : le tragique exode des Français d’Algérie  - mars 2012

a été publié aux éditions de Paris Max Chaleil.
L’ouvrage de 208 pages est illustré par plus de 60 photo
s.
Préface de Geneviève de Ternant

Résumé

En 1962, la signature des accords d'Evian marque la fin de l'Algérie française. L'auteur montre qu'en dépit du cessez-le-feu, près de cent mille pieds-noirs et harkis vont être enlevés, torturés ou assassinés. Un immense exode s'organise alors, puisqu'un million de personnes quittent l'Algérie pour la France. Retour sur cette période et sur la façon dont fut négociée l'indépendance algérienne.

08

13

 09

 

Images vécues de l'Algérie en guerre - avril 2007

Présentation de l'éditeur

Cet album témoignage sur la guerre d'algérie est un hommage aux soldats français, aux pieds-noirs et aux harkis comme à toutes les victimes d'un conflit qui a marqué durablement notre pays.
Présentant des images émouvantes, violentes et souvent inédites, il se situe à contre-courant de la pensée unique et rejette la repentance systématique que beaucoup de Français acceptent de plus en plus mal.
Réalisé par un reporter qui fut appelé du contingent en Algérie, il ne se présente pas comme une oeuvre d'historien mais tente, objectivement, de montrer la guerre, les opérations de différentes unités, le combat des harkis, les évènements dans les villes, la douceur de vivre, la passion et le drame.
Il ne laissera pas indifférent ceux qui se souviennent encore de cette période, mais intéressera, aussi, des générations qui ne l'ont pas vécue.

 

10

 


 

6 - Guerre d'Algérie : ce qui s'est vraiment passé le 19 mars 1962 - Par Henri-Christian Giraud - 2012

Petit fils du général Henri Giraud, et frère du vice-amiral Hervé Giraud, il a collaboré entre autres aux périodiques Valeurs actuelles et Spectacle du monde, et a été rédacteur en chef du Figaro Magazine.

Par Henri-Christian Giraud
Mis à jour le 18/03/2016 à 12:36
Publié le 16/03/2015 à 15:57

      3071195

 

AVT Henri Christian Giraud 965

 

Le 19 mars 1962 n'a pas marqué la fin de la guerre d'Algérie : il a libéré les violences et les crimes sur lesquels François Hollande s'apprête à faire l'impasse en choisissant de la commémorer ce jour-là.
«On peut choisir n'importe quelle date sauf le 19 mars!» avait prévenu François Mitterrand. En votant, le 8 novembre 2013, la proposition de loi socialiste d'inspiration communiste visant à faire du 19 mars 1962, date du cessez-le-feu en Algérie, une «journée nationale du souvenir en mémoire des victimes du conflit», la majorité de gauche au Sénat avait décidé de passer outre l'avertissement, prenant ainsi, délibérément, la responsabilité d'«un risque grave de division de la communauté nationale» selon les termes de l'Union nationale des combattants. Premier président de la République à commémorer cette date, François Hollande se trompe à son tour. Non seulement parce que la date du 19 mars est celle d'une défaite. Mais parce qu'elle n'a même pas marqué, sur le terrain, la fin de la guerre: bien plutôt la fin de l'engagement des autorités françaises dans la défense de leurs ressortissants et le début des terrifiantes violences dont furent victimes les Français d'Algérie et les supplétifs engagés aux côtés de la France.
«On peut choisir n'importe quelle date sauf le 19 mars !»  François Mitterrand 
Sur le plan diplomatique, la «défaite» française en Algérie est de fait incontestable. Mais il est également vrai qu'elle était inscrite dès le début dans le processus des négociations. Et ce, pour une raison simple: l’Élysée était demandeur et pressé…

C'est le 20 février 1961 que, dans le plus grand secret, Georges Pompidou et Bruno de Leusse prennent contact en Suisse, à l'hôtel Schweitzer de Lucerne, avec les représentants du GPRA (Gouvernement provisoire de la République française), Ahmed Boumendjel, Taïeb Boulahrouf et Saad Dalhab. Selon les instructions reçues, il ne s'agit pour les représentants français que d'une mission d'information sur les objectifs à long terme du FLN et sur les voies et étapes qu'il compte emprunter pour y parvenir.

Immédiatement, Pompidou donne le ton en affirmant que la France a la situation bien en main, que l'Algérie n'est pas l'Indochine -«Il n'y aura pas de Dien Bien Phu»-, que les menaces de Khrouchtchev ou de tout autre ne font pas peur à De Gaulle et, pour finir, que la France ne craint pas l'indépendance algérienne. Elle exige donc un arrêt des combats avant d'entreprendre des pourparlers avec toutes les tendances sur les conditions de l'autodétermination, dont elle a accepté, depuis le référendum du 8 janvier 1961, le principe. Mais tout de suite aussi, les Algériens font connaitre leur refus de bouger d'un pouce sur la question du cessez-le-feu qui, disent-ils, doit résulter d'un accord politique.
C'est l'impasse. Et la situation n'évolue guère lorsque les mêmes se retrouvent pour une nouvelle réunion, le 5 mars suivant, à Neuchâtel. «Les contacts secrets confirmaient l'absence complète d'accord sur les liens à établir entre les éventuels pourparlers officiels et la cessation des violences», écrit Bernard Tricot, qui assurait alors le secrétariat de la Direction des affaires algériennes à l'Elysée.
A la «trêve statique» des Français, les Algériens opposent leur «cessez-le-feu dynamique» qui serait fonction des progrès de la négociation…
Que va décider De Gaulle?
Le 8 mars, un communiqué du chef de l’État appelle à l'ouverture de discussions «sans conditions préalables». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre… De Gaulle vient d'en passer par la première des quatre volontés du FLN. Le 8 mars, lors d'une nouvelle réunion, Bruno de Leusse lit devant les émissaires du GPRA un communiqué du chef de l’État appelant à l'ouverture de discussions «sans conditions préalables». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre…

Ce 8 mars 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la première des quatre volontés du FLN.
Les trois autres exigences du mouvement révolutionnaire sont claires:

1) le FLN doit être considéré comme le seul représentant qualifié du peuple algérien

2) l'Algérie est une, Sahara compris (ce qui n'a aucun fondement historique: le Sahara n'a appartenu à l'Algérie que sous la souveraineté française)

3) le peuple algérien est un, et ce que décidera la majorité du peuple vaudra pour tout le territoire et pour tous ses habitants. Il ne doit donc y avoir aucun statut particulier pour les Européens.

C'est le futur gouvernement algérien qui, une fois installé, décidera avec son homologue français des garanties dont ils jouiront, des modalités de la coopération et des questions de défense. En attendant, il convient de discuter des garanties de l'autodétermination.
Le 15 mars, un communiqué du Conseil des ministres «confirme son désir de voir s'engager, par l'organe d'une délégation officielle, des pourparlers concernant les conditions d'autodétermination des populations algériennes concernées ainsi que les problèmes qui s'y rattachent». Tricot constate: «Les commentateurs les plus avertis se doutèrent bien que si le cessez-le-feu n'était pas mentionné séparément, c'est qu'il faisait désormais partie des problèmes qui se rattachaient à l'autodétermination et qu'il ne constituait pas un préalable.»

Le 30 mars, le gouvernement français et le GPRA annoncent simultanément que les pourparlers s'ouvriront le 7 avril à Evian. Mais le lendemain, interrogé par la presse sur ses contacts avec Messali Hadj, le leader du Mouvement national algérien (MNA), rival du FLN, Louis Joxe, le ministre en charge des Affaires algériennes, déclare qu'il consultera le MNA comme il consultera le FLN. Aussitôt la nouvelle connue, le GPRA annule les pourparlers.
Que va faire de Gaulle?
«Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars.» Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien. Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN.

Le 6 avril, le Conseil des ministres publie un communiqué prenant acte de l'ajournement de la conférence d'Evian et conclut sobrement: «Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars.» Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien.
Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN. Cette double capitulation en l'espace d'un mois explique peut-être les termes un peu crus de sa déclaration du 11 avril: «L'Algérie nous coûte, c'est le moins que l'on puisse dire, plus qu'elle nous rapporte (…) Et c'est pourquoi, aujourd'hui la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine.»
Sur ce, le 21 avril, éclate le putsch des généraux dont l'échec entraîne la création de l'OAS par Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini. La violence atteint vite un seuil insoutenable et De Gaulle avoue à Robert Buron ne plus rien maîtriser. «Il n'y a plus, dit-il, que deux forces en présence: le FLN et l'OAS.»
C'est dans ce contexte que, le 20 mai, les négociations s'ouvrent à Évian. Du côté français, outre Louis Joxe, la délégation comprend, entre autres, Bernard Tricot, Roland Cadet, Claude Chayet et Bruno de Leusse. Tous des professionnels de la négociation. Du côté algérien, le chef de file n'est autre que Krim Belkacem, dont l'instruction se résume à un passé de maquisard. Pour marquer sa bonne volonté, le chef de l'Etat annonce une trêve unilatérale d'un mois (l'action des troupes françaises sera limitée à l'autodéfense), la libération de 6000 prisonniers et le transfert au château de Turquant, en Indre-et-Loire, des chefs du FLN capturés en 1956.
De Gaulle déclare, le 5 septembre, accepter la souveraineté du FLN sur le Sahara, dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe: «Le pétrole, c'est la France et uniquement la France!» Il vient d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN.
Après une première interruption des pourparlers le 13 juillet due, notamment, à des divergences sur le Sahara, une reprise des négociations au château de Lugrin, le 20 juillet, et un nouveau capotage pour la même raison, De Gaulle déclare, le 5 septembre, accepter la souveraineté du FLN sur le Sahara, dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe: «Le pétrole, c'est la France et uniquement la France!»

Ce 5 septembre 1961, il vient donc d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN.
Ne reste plus en suspens que le sort des pieds noirs et des musulmans fidèles à la France, qu'il évoque d'ailleurs dans la suite de son discours, en parlant de «dégagement». Le mot résonne douloureusement à leurs oreilles, même si De Gaulle assure qu'en cas de rupture brutale avec l'Algérie, l’État entreprendra de «regrouper dans une région déterminée les Algériens de souche européenne et ceux des musulmans qui voudraient rester avec la France», donnant ainsi un début de réalité au thème de la «partition» lancé à sa demande par Peyrefitte.
Dans le camp d'en face, Benyoucef Ben Khedda, un marxiste, succède à Ferhat Abbas à la tête du GPRA.
Le 11 février 1962, les négociations reprennent aux Rousses. Elles s'achèvent une semaine plus tard sur un ensemble de textes qualifiés d'«accords de principe» que les Algériens doivent soumettre au CNRA, l'instance suprême de la Révolution, réuni à Tripoli.
Le 7 mars s'engage la seconde conférence d'Évian qui traîne trop aux yeux de l’Élysée. Robert Buron décrit un De Gaulle «moins serein, moins souverain» au téléphone. Le 18 mars, juste avant la signature, Krim Belkacem fait valoir une exigence: que les délégués français lisent à voix haute les 93 pages du document. Ces derniers s'exécutent en se relayant, article après article, tandis que les délégués algériens suivent attentivement chaque mot et que De Gaulle, à l'Elysée, attend. Le rituel imposé une fois terminé, les accords d'Évian sont paraphés par les deux délégations. Ils prévoient l'organisation d'un referendum sur l'indépendance. Il aura lieu le 1er juillet. Dans l'intervalle, le pouvoir sera exercé par un exécutif provisoire, sous la direction de Christian Fouchet.
Dans son Journal, à la date de ce 18 mars, Buron reconnait que sa signature figure au bas d'un «bien étrange document». Et il note: «Les jours qui viennent vont être des jours de folie et de sang».
Si le texte des accords d'Evian assure en principe aux Français d'Algérie «toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme», l'Elysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.

Car si le texte assure en principe aux Français d'Algérie «toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme», ainsi que la possibilité de «transporter leurs biens mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capitaux», l’Élysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.
Le lendemain 19 mars, le cessez-le-feu est proclamé du côté français par le général Ailleret, du côté algérien par Ben Khedda. Or, ce même 19 mars censé instaurer la paix, le directeur de la police judiciaire, Michel Hacq, patron de la mission «C» (C pour choc) qui supervise les barbouzes (ces «éléments clandestins» chargés depuis décembre 1961 de la lutte contre l'OAS), rencontre secrètement le chef fellagha Si Azzedine, patron de la Zone autonome d'Alger, pour lui remettre une liste d'activistes. Tout y est: les noms et les pseudonymes, les âges et les adresses.

«Le marché est clair, écrit Jean-Jacques Jordi: les commandos d'Azzedine peuvent se servir de cette liste pour leurs actions contre l'OAS et ils peuvent “bénéficier” d'une certaine impunité d'autant que les buts du FLN et de la mission “C” se rejoignent (…) Cependant, force est de constater que ces mêmes commandos FLN ne s'attaquaient pas réellement aux membres de l'OAS mais poursuivaient une autre stratégie: faire fuir les Français par la terreur.»
Ce nettoyage ethnique qu'évoque sans fard dans ses Mémoires, l'ancien président du GPRA, Ben Khedda, en se vantant d'avoir réussi à «déloger du territoire national un million d'Européens, seigneurs du pays», était en germe depuis longtemps puisque les négociateurs du FLN à la conférence de Melun, Boumendjel et Ben Yahia, en avaient fait la confidence à Jean Daniel dès le 25 juin 1960: «Croyez-vous, leur avait demandé le journaliste, originaire de Blida, qu'avec tous ces fanatiques religieux derrière vous, il y aura dans une Algérie indépendante un avenir pour les non-musulmans, les chrétiens, les juifs auxquels vous avez fait appel?» Les deux responsables FLN ne s'étaient pas dérobés: «Ils m'ont alors expliqué, témoigne Jean Daniel, que le pendule avait balancé si loin d'un seul côté pendant un siècle et demi de colonisation française, du côté chrétien, niant l'identité musulmane, l'arabisme, l'islam, que la revanche serait longue, violente et qu'elle excluait tout avenir pour les non-musulmans. Qu'ils n'empêcheraient pas cette révolution arabo-islamique de s'exprimer puisqu'ils la jugeaient juste et bienfaitrice.»
Sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre «leur ennemi commun» selon l'expression de Krim Belkacem.
Détail important: la livraison au FLN par Hacq, ce 19 mars, de la liste des activistes n'est pas une nouveauté. Elle fait suite à une première liste de 3000 noms adressée au FLN par l'intermédiaire de Lucien Bitterlin, l'un des chefs des barbouzes, dès janvier 1962… C'est-à-dire trois mois avant les accords d'Evian, qui vont voir les relations entre Hacq et Si Azzedine se renforcer. Force est donc de constater que, sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre «leur ennemi commun» selon l'expression de Krim Belkacem.
Lors de la crise des Barricades, (la première révolte des pieds-noirs après le discours de De Gaulle annonçant, en septembre 1959, l’autodétermination) en janvier 1960, le chef rebelle a en effet affirmé à l'ambassadeur américain à Tunis, Walter Walmsley, que si De Gaulle avait besoin de soutien, le GPRA se mobiliserait à ses côtés contre tous ceux qui s'opposent à l'indépendance de l'Algérie. Et donc, par extension, contre tous les Français d'Algérie à quelque confession qu'ils appartiennent.
Message entendu à l’Élysée.
«On n'allait bientôt plus savoir qui tuait qui -et pour le compte de qui! On tuait, voilà tout», écrit Bitterlin.
Ce 19 mars 1962, la guerre n'est donc pas finie: seuls les alliés et les adversaires ont permuté en fonction des développements successifs de la politique gaulliste. Elle va même prendre un tour extrême quelques jours plus tard.

Le 26 mars, rue d'Isly, une manifestation interdite mais pacifique de Français d'Algérie se dirigeant vers le quartier de Bâb-el-Oued, foyer de l'OAS, encerclé par l'armée, se heurte à un barrage de tirailleurs venus du bled. Elle est mitraillée à bout portant. Bilan: près de 49 morts et 200 blessés. Le drame n'a rien d'un dérapage: Christian Fouchet s'en est justifié plus tard lors d'une confidence à Jean Mauriac: «J'en ai voulu au Général de m'avoir limogé au lendemain de Mai 68. C'était une faute politique. Il m'a reproché de ne pas avoir maintenu l'ordre: “Vous n'avez pas osé faire tirer [sous-entendu: sur les manifestants étudiants]-J'aurais osé s'il avait fallu, lui ai-je répondu. Souvenez-vous de l'Algérie, de la rue d'Isly. Là, j'ai osé et je ne le regrette pas, parce qu'il fallait montrer que l'armée n'était pas complice de la population algéroise.”»
Le 3 avril 1962, De Gaulle déclare qu'«il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxiliaires qui n'ont jamais servi à rien» et donne l'ordre de désarmer les harkis. Le 4 mai, il déclare que «l'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs.» Les uns et les autres font partie du «boulet» dont il avait avoué à Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en «délester».

Dans la folie meurtrière qui, sous les coups conjugués de l'OAS, du FLN, des barbouzes et du «Détachement métropolitain de police judiciaire» (couverture officielle de la fameuse mission «C» constituée de 200 policiers, et d'une trentaine de gendarmes aux ordres du capitaine Armand Lacoste), s'empare de l'Algérie et menace la métropole, la figure de l'«ennemi commun» se précise: le 3 avril 1962, lors d'une réunion du Comité des affaires algériennes, De Gaulle déclare qu'«il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxiliaires qui n'ont jamais servi à rien» et il donne l'ordre de désarmer les harkis (que des ordres complémentaires de Joxe et de Messmer empêcheront de gagner la France et, pour certains de ceux qui y seront parvenus malgré tout, rembarqueront de force pour l'Algérie). Le 4 mai, en Conseil des ministres, il déclare que: «L'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs.» Les uns et les autres font donc partie du «boulet» dont il avait avoué à Alain Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en «délester». Cette disposition d'esprit du chef de l'Etat a une traduction concrète sur le terrain: en vertu de l'ordre donné à l'armée de rester l'arme au pied quoi qu'il arrive à nos nationaux, la politique d'abandon de l'Algérie se double d'une politique d'abandon des populations qui se réclament de la France et dont le sort est désormais lié au seul bon vouloir du GPRA.

Le rapport de Jean-Marie Robert, sous-préfet d'Akbou en 1962, adressé à Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d'Etat, donne une idée détaillée des massacres auxquels se livre alors le FLN sur les supplétifs de l'armée française mais aussi sur les élus (maires, conseillers généraux et municipaux, anciens combattants, chefs de village, etc.) «promenés habillés en femmes, nez, oreilles et lèvres coupées, émasculés, enterrés vivant dans la chaux ou même dans le ciment, ou brûlés vifs à l'essence».
Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: de l'ordre de 300 à 400 entre novembre 1954 et mars 1962, ils se multiplient brusquement à partir de cette date pour atteindre selon les travaux de Jordi le chiffre de 3000 -dont 1630 disparus. Dans l'indifférence la plus totale de la part du gouvernement français que n'émeut pas davantage le massacre du 5 juillet (jour officiel de l'indépendance algérienne après la victoire du oui au référendum du 1er juillet) à Oran, qui va coûter la vie à 700 Européens.

Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: ils se multiplient brusquement pour atteindre le chiffre de 3000 dont 1630 disparus. «Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement», déclare De Gaulle le 18 juillet.
«Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement», déclare même De Gaulle le 18 juillet.

Devant l'exode, dont il nie la réalité jusqu'au dernier moment, le chef de l’État ne se soucie que de la «concentration» des réfugiés dans le sud de la France. L'ordre qu'il donne alors, le 18 juillet, est d'obliger les «repliés» ou les «lascars» (c'est ainsi qu'il appelle les pieds-noirs selon son humeur du jour) à «se disperser sur l'ensemble du territoire». S'attirant cette réponse de Pompidou, nouveau Premier ministre: «Mais à quel titre exercer ces contraintes, mon général? On ne peut tout de même pas assigner des Français à résidence! Les rapatriés qui sont autour de Marseille ne créent aucun problème d'ordre public. On ne peut pas les sanctionner!» il réplique: «Si ça ne colle pas, il faut qu'on se donne les moyens de les faire aller plus loin! Ça doit être possible sous l'angle de l'ordre public.»

Certains comme Joxe souhaitant envoyer cette «mauvaise graine» au Brésil ou en Australie, De Gaulle répond qu'ils aillent en Nouvelle-Calédonie ou plutôt en Guyane… Mais son intention véritable, il le dit et le répète, c'est de faire en sorte que tous retournent sans délai dans cette Algérie, dont ils sont parvenus -souvent in extremis à fuir la terreur.

En Conseil des ministres, le 25 juillet, Alain Peyrefitte note que «plusieurs collègues baissent la tête»… Et le chef de l'Etat est sans doute conscient de son effet puisque le même Peyrefitte rapporte que Pompidou, mi- plaisant mi- sérieux, lui raconte que le Général a déclaré à Mme De Gaulle: «Je vous le dis Yvonne, tout ça se terminera mal. Nous finirons en prison. Je n'aurai même pas la consolation de vous retrouver puisque vous serez à la Petite Roquette et moi à la Santé.»

En réalité la détermination présidentielle est sans faille et pour que les choses soient bien claires, de Gaulle insiste: «Napoléon disait qu'en amour, la seule victoire, c'est la fuite; en matière de décolonisation aussi, la seule victoire c'est de s'en aller.»

 

Retour Sommaire

Informations supplémentaires